NERVAL OU LA CHIMÈRE DU MOI - Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Revue Nerval Année : 2017

NERVAL OU LA CHIMÈRE DU MOI

Résumé

Nul comme Nerval n'a montré à quel point le moi est une chimère. C'est-à-dire une figure mythologique, formée de strates immémoriales de discours et de textes, qui déclinent à l'infini une identité hybride, et manifestent son incessante capacité métamorphique. En effet, du point de vue « confus » du moi, tout est pris dans un tourbillon qui pulvérise le réel, ses repères et ses frontières traditionnels : « Je fermai les yeux et j'entrai dans un état d'esprit confus où les figures fantasques ou réelles qui m'entouraient se brisaient en mille apparences fugitives 1 » témoigne le narrateur d'Aurélia. Mais le « je » lui-même, loin d'être exempt d'un tel tournoiement, se trouve happé par ce mouvement centrifuge d'effacement, de mélange et de multiplication. « Figure fantasque », il est à la fois produit et détruit, dans le dérèglement des perceptions et le morcellement du moi avec celui du monde. Le sujet nervalien, d'être à la fois plusieurs et personne, apparaît travaillé par l'impersonnalité. Autrement dit, il cède aux pressions exercées par d'autres mondes et d'autres noms qui s'immiscent dans le réel, au point de perdre toute substance et toute stabilité. Épousant tour à tour des avatars, il ne cesse d'excéder les limites trop étroites de la personnalité pour expérimenter une nébuleuse d'identités. Aussi le titre du dernier livre de poèmes, Les Chimères, peut-il s'appliquer, en miroir, au locuteur lui-même. Car cet être contre-nature, la chimère, qui réunit sous la même peau le lion, la chèvre et le serpent, constitue un tout sans ensemble qui fait entorse au réel. Bertrand Marchal a montré comment le sémantisme du mot « chimère », tout en conservant son sens mythologique ancien, a dérivé vers l'acception moderne de « folie 2 » : cette créature fabuleuse, née de l'imagination et du rêve, contient la menace de l'instabilité et de la dérive, en venant parasiter les normes sociales du réel et de la raison. Car le moi est un monstre : une fiction archaïque qui envahit le réel, à mi-chemin entre être et non-être. Aussi, dans le rêve des origines que retranscrit un chapitre d'Aurélia, la mue que connaissent les monstres advientelle dans le même temps au narrateur, qui, témoigne-t-il, n'est pas d'une nature différente : « Puis, les monstres changeaient de forme, et dépouillant leurs premières peaux, se dressaient plus puissants sur des pattes gigantesques ; l'énorme masse de leurs corps brisait les branches et les herbages, et, dans le désordre de la nature, ils se livraient des combats auxquels je prenais part moi-même, car j'avais un corps aussi étrange que les leurs 3. » L'expérience de la folie, et plus encore ici le discours sur la folie, qui n'est plus le discours de la folie, dérangent la notion même d'identité telle que la définit la civilisation occidentale : une et arrêtée. Il en ressort d'une part un infra-sujet, dépossédé de lui-même au point d'errer hors de lui ; d'autre part, un hyper-sujet, qui excède les bornes traditionnelles de l'individu sur le mode de la révélation (transhistorique, cosmique). L'impersonnalité nervalienne serait à trouver là : dans une indéfinition, à l'intersection entre ces deux instances, qui restent toujours en-deçà ou au-delà de la conception séculaire du sujet. Comment devenir autre sans changer de nature, et confondre les mondes à l'intérieur du monde même ? Comment, par le rêve et la folie, participer à ce formidable accroissement du réel sans se perdre ?
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-03957658 , version 1 (26-01-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03957658 , version 1

Citer

Aurélie Foglia Loiseleur. NERVAL OU LA CHIMÈRE DU MOI. Revue Nerval, 2017, 1. ⟨hal-03957658⟩
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