« Gautier en voyage : la description et la poétique piranésienne » - Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2007

« Gautier en voyage : la description et la poétique piranésienne »

Résumé

Giovanni Battista Piranèse (1720-1778) apparaît comme le modèle pictural du cauchemar architectural. Il reprend aussi cette idée que, chez Piranèse, le « monument prend l’aspect du cauchemar » et que la « ruine semble vivre d’une vie étrange et monstrueuse ». Gautier décrit la « terreur architecturale » ou le « cauchemar architectural » de Piranèse comme un « dédale de rampes, d’arcades, de colonnes, de clefs de voûte, de poutres enchevêtrées » où les « voûtes » sont « noires », « suantes », « prêtes à crouler » où poussent « dans ses décombres des plantes qui ont l’air de serpents » et où tortillent « si hideusement les jambes difformes de la mandragore entre les pierres lézardées et les corniches disjointes ». Cependant, tout ce qui rapproche ces descriptions piranésiennes de l'esthétique sensualiste du roman noir (les prisons, les tortures, les supplices, l'obscurité…) doit aussi être pensé comme relevant d’une stratégie littéraire et d’une ambition esthétique. Le cauchemar est l’instrument privilégié de la révélation de la réalité à elle-même, il a une vertu apocalyptique qui motive et justifie la présence de la description viatique comme genre littéraire et non seulement comme simple transposition référentielle. Le cauchemar architectural fonctionne comme un double fond du réel mais fonde aussi un subjectivisme paradoxal, une sorte de maniérisme descriptif. Ainsi, Venise est perçue en fonction d’une « architecture intérieure » qui caractérise la manière noire de Gautier : « jamais la réalité n’a moins ressemblé à elle-même que ce soir-là », mais on pourrait penser que jamais elle n’a autant ressemblé au désir littéraire de l’écrivain-voyageur et de sa poétique viatique. Le cauchemar architectural relève également d'une conception gautiériste et romantique de la description : l’objet est déformé par le regard du sujet et les lois de la représentation sont subverties. Gautier parle par exemple des « délires extravagants de Pyranèse », d' « étonnantes hallucinations architecturales » et rappelle que « Piranèse se plaît à bâtir avec sa pointe d’aquafortiste des constructions chimériques, mais douées d’une réalité puissante et mystérieuse ». Gautier transpose les folies architecturales du graveur en délires descriptifs : la vision descriptive et a priori référentielle du récit de voyage s’accorde avec les visions hachichines des expériences stupéfiantes plus (Une nuit de Cléopâtre) ou moins (Le club des hachichins, Le Hachich) fictives de Gautier. Enfin, la poétique piranésienne de la description dans les récits de voyage de Gautier pourrait bien être redevable d’une esthétique du sublime : la terreur de l’enfermement est aussi délire architectural de l’infini, prolifération descriptive de l’indéfini. A la façon du graveur, Gautier étire et biaise avec génie les lois de la perspective pour désorienter et accabler son lecteur et, comme Piranèse qui représentait les ruines de l’architecture (plus que des ruines d’architectures), on pourrait penser que Gautier représente dans ses récits de voyage l’indétermination fondamentale de toute description de paysage (naturel ou urbain).
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01492111 , version 1 (17-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01492111 , version 1

Citer

Yvon Le Scanff. « Gautier en voyage : la description et la poétique piranésienne » . La maladie du bleu: art de voyager et art d'écrire chez Théophile Gautier, Jan 2006, Grenoble, France. pp.113-127. ⟨hal-01492111⟩

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