, Aussi ne vis-je pas d'autre moyen de guérir la crise intérieure que de cesser le va-et-vient d'une langue à l'autre, à commencer par le roumain que j'employais encore en conversant avec moi-même ou avec mon ami. Et de choisir pour langue provisoire l'italien, dans la mesure du possible. A Paris, j'ai persévéré dans cette résolution en ne parlant plus que le français, même avec mes nouveaux amis d'origine roumaine, Chiva et Paul Celan, et bien sûr avec Isou quand nous nous sommes retrouvés, p.538

, Au terme de l'étude de cette séquence narrative, nous en arrivons à la phase de « morale » ou d'explicitation du sens de ce texte. Celle-ci repose sur le fait que le rapport personnel qu'entretient l'auteur avec le langage a radicalement évolué. Pendant les trois ans qui ont précédé l'épisode relaté, le jeune Serge a parcouru les camps de réfugiés à travers l'Europe puis, exilé lui-même en Italie, il a été l'intermédiaire et le traducteur entre des locuteurs, Les trois remèdes auto-prescrits sont : cesser le va-et-vient d

, Afin de déjouer cette malédiction, il se « concocte » la « petite théorie » suivante : « chacun doit parler la langue du pays qu'il habite ». En latin, langue morte, langue des Anciens, cette « loi du normal » se dit ainsi : « cujus regio, hujus sermo ». Les réfugiés ne peuvent obéir à cette loi, ils sont hors la loi qu'ils « transgressent en fabriquant, au fur et à mesure de leurs déplacements, par le mélange de plusieurs langues -baragouin allemand, baragouin Italien, baragouin français et le reste-leur Babel personnel ». La seule issue pour celui qui prétend exister en tant que sujet d'un langage normé et non plus en tant qu'agent soumis aux caprices du déracinement est de décider de ne plus parler que la langue du territoire où il habitera désormais. Ceci implique donc de ne plus vivre comme un réfugié et de s'installer à la fois dans un lieu, dans une communauté linguistique et dans une langue. Cette décision doit permettre à Serge Moscovici de retrouver une cohérence entre lui et ses contemporains et d'investir pleinement, en homme de science plurilingue, C'est dans ce contexte qu'il voit se réaliser la prédiction divine : « descendons et déconcertons leur langue jusqu'à ce que chacun soit un écervelé pour son ami, vol.11

S. Moscovici,

T. Dans-ce, italien et traduits de ces langues vers le français témoignent du renversement qui s'est opéré dans le répertoire plurilingue de l'auteur qui a fait du français la langue de base à laquelle des vocables étrangers viennent apporter l'écho d'une enfance où le jeune Serge créait des jeux de langage avec les mots étrangers pour « égayer une existence triste, p.535

, Cette errance se termine avec l'annonce divine : « descendons et déconcertons leur langue jusqu'à ce que chacun soit un écervelé pour son ami » qui résonne dans le texte étudié, comme un avertissement. Si dans sa jeunesse