"Un sale Russe, un vrai démon." Hommages et ambivalences imaginaires chez Bernanos
Résumé
L’article analyse la représentation du Russe dans le troisième roman de Bernanos, La Joie (1929). Le personnage du « diabolique » chauffeur Fiodor y tient une place éminente tant par son rôle stratégique dans l’économie de l’intrigue, que par la charge fantasmatique qu’il véhicule, au point de friser plus d’une fois la caricature. Bernanos y réinvestit la figure de l’exilé russe, véritable carrefour imaginaire, procédant à un recodage symbolique autant de la réalité historique que d’un héritage littéraire, non sans de décisifs effets de brouillage. L’analyse montre en particulier l’ambivalence et la tension inhérentes à la figure, dont Bernanos exploite consciemment le potentiel expressif, pour le détourner d’une part, mais aussi pour rendre hommage à la meilleure littérature russe de l’autre - d’où un mélange assez instable et une figure d’une indéniable opacité. « Sale Russe » et « vrai démon » Fiodor constitue ainsi un hapax d’une « désolante lucidité » au sein de l’œuvre romanesque d’un des écrivains majeurs du siècle, une figure qui par sa densité même n’en paraît que plus remarquable et troublante.